40e ANNIVERSAIRE DE
L'ASSOCIATION QUÉBÉCOISE DE DROIT COMPARÉ
L'honorable juge Claire L'Heureux-Dubé
Cour suprême du Canada
Le 6 avril 2001
Château Bonne-Entente, Québec
40e ANNIVERSAIRE DE
L'ASSOCIATION QUÉBÉCOISE DE DROIT COMPARÉ
L'honorable juge Claire L'Heureux-Dubé(1)
Cour suprême du Canada
C'est magnifique d'être de retour chez moi à Québec et de pouvoir saisir cette opportunité de me retrouver entre amis et collègues. J'ai grand plaisir à présider ce colloque sous le thème de l'enseignement du droit comparé, droit comparé pour lequel j'ai un amour particulier. Je suis d'autant plus choyée aujourd'hui que ce colloque marque le 40e anniversaire de l'Association québécoise de droit comparé, une association qui a su contribuer de manière plus que significative à l'évolution de cet aspect du droit à l'ère de la mondialisation du monde juridique.
Le droit comparé n'est plus ce qu'il était. Longtemps considéré comme une discipline s'attachant exclusivement à l'étude d'autres systèmes de droit, il se présente de nos jours comme une dimension essentielle au rayonnement de notre droit interne par delà nos frontières. La méthode du droit comparé constitue, ni plus ni moins, une autre façon de penser le droit. C'est du moins ce que semblent indiquer les développements jurisprudentiels actuels dans le monde. Nous constatons, en effet, en ce début de millénaire, qu'une jurisprudence internationale imprègne de plus en plus le droit de tous les pays particulièrement dans le domaine des droits de la personne. Comme le dit si bien Michael Ignatieff :
Nous sommes à peine conscients jusqu'à quel point notre imagination morale a été transformée depuis 1945 par la croissance d'un langage et d'une pratique d'universalisme morale, qui s'exprime avant tout dans une culture commune des droits de la personne.(2)
Outre le développement de ce dénominateur commun des droits de la personne, la similitude des débats et des conflits, sociaux et autres, dans nombre de pays, ainsi que la fréquence des contacts de juristes à la grandeur du globe ont ouvert une voie privilégiée au droit comparé. La nouvelle technologie accélère la diffusion des solutions de diverses juridictions et permet au droit comparé d'apporter les nuances qui s'imposent dans la transposition des solutions d'un pays à l'autre. Cette interaction entre les juridictions mène à ce que Lord Cooke of Thorndon a appelé « Le Rêve d'une common law internationale »(3) et que Gérard Cornu aurait bien pu appeler le rêve d'«un droit civil international».
L'Association québécoise de droit comparé, quant à elle, aspire au rêve d'"un système juridique ouvert sur le monde". Fondée en 1960, l'Association a rapidement servi de pont entre les juristes d'ici, ceux du reste du Canada et ceux d'autres pays, pour l'étude comparative du droit, que ce soit lors de congrès internationaux ou de colloques locaux de l'Association. Regroupant quelque 200 juges, professeurs, avocats et notaires de tous les domaines du droit, elle est la 2e plus ancienne société savante dans le domaine juridique au Québec, après l'Association Henri Capitant, division du Québec, dont le juge Jean-Louis Baudouin est le président.
L'Association québécoise de droit comparé s'est donnée pour mission d'apporter à divers problèmes juridiques l'éclairage du droit comparé. Par ses colloques, ses publications, son concours annuel, elle suscite des débats sur des questions souvent controversées, tout en offrant l'occasion d'acquérir des connaissances plus approfondies sur le droit en vigueur au Québec et celui d'autres disciplines. Les présidents et présidentes de l'Association, tous non seulement d'éminents juristes tels le juge Mayrand, ont su préserver et insuffler, au fil des ans, non seulement la survivance mais ce souci d'excellence qu'on lui reconnaît sur la scène nationale et internationale. Le professeur Paul-André Crépeau, premier récipiendaire de la Médaille de l'Association québécoise de droit comparé, qui lui fut décernée le 18 mars 1993, a présidé les destinées de l'Association pendant dix ans, soit de 1974 à 1984. Ce fut un honneur et un privilège de lui succéder, de 1984 à 1991. (Depuis ma nomination, comme juge à la Cour suprême du Canada en 1987, la philosophie de l'Association québécoise de droit comparé et l'ouverture vers le monde dont elle fait preuve n'ont pu qu'influencer mon approche du droit et la place que je lui fais dans mes décisions). Je ne saurais cacher la grande admiration que je voue au président actuel, le professeur Pierre-Gabriel Jobin, et la haute estime et amitié que je lui porte. Depuis 1991, à l'exception de la période s'échelonnant de 1997 à 1999, il dirige avec, je dirais, passion, persévérance, inspiration, doigté, disponibilité, générosité et grande efficacité les destinées de cette Association qu'il aime d'un amour véritable...
Profondément attachée, non seulement au droit comparé dans un sens large, mais également au bi-juridisme et bi-culturalisme dont nos traditions juridiques sont empreintes, l'Association a mis sur pied, presqu'à chaque année depuis ses débuts, de nombreux colloques. Pour n'en mentionner que quelques-uns, rappelons "Les tribunaux et la Charte : le pouvoir d'ordonner au gouvernement de modifier ses programmes" en 1991, "La circulation des modèles juridiques : les influences d'un droit sur l'autre" (conjointement avec l'Association Henri Capitant, division du Québec) en 1992, "Au seuil de la réforme du Code civil : le droit transitoire" en 1995, "La charte des droits de la personne vingt ans plus tard" (conjointement avec la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec) en 1996, et "La vente internationale à la lumière des textes récents" (conjointement avec le Centre de droit des affaires et du commerce international) en 2000.
Nous ne pourrions, en revanche, passer sous silence la tenue du congrès mondial de l'Académie internationale de droit comparé, entièrement organisé par l'Association, qui, en 1990, réunit à l'Université McGill 550 personnes venant du monde entier. Il s'agit sans conteste de l'événement le plus marquant de l'histoire de l'Association et dont les participants, j'en suis certaine, gardent un souvenir impérissable. C'était l'aboutissement d'une longue et fructueuse relation. En effet, l'Association entretient des liens étroits avec l'Académie internationale de droit comparé, dont le siège est situé à Paris, et qui a été présidée, de 1990 à 1998, par le professeur Paul-André Crépeau, ancien président de l'Association québécoise.
Depuis sa fondation, l'Association agit comme interlocuteur privilégié de l'Académie. Depuis 1994, elle assume ce rôle conjointement avec l'Association canadienne de droit comparé, présidée par le professeur Patrick Glenn, récipiendaire en 1998, du Grand prix de l'Académie internationale de droit comparé pour son œuvre Legal Traditions of the World. Ce prix a été créé en 1990 par le gouvernement du Canada pour couronner une œuvre de droit comparé dans le monde. L'Association et l'Académie sont d'ailleurs fières de s'être jointes au gouvernement canadien pour créer ce prix prestigieux, le Prix Canada, qui couronne, tous les 4 ans, l'auteur d'un ouvrage récent de droit comparé. Le prix a été présenté à Me Glenn lors du dernier congrès mondial de l'Académie à Bristol, en Angleterre, par le Prince Philip, Duc d'Édimbourgh.
Ce n'est pas un hasard si, pour souligner le 40e anniversaire de l'Association, le thème de l'enseignement du droit comparé a été choisi. À l'aube d'un nouveau millénaire, cette conférence arrive tout à fait à point. Plus que jamais, les juristes doivent faire preuve de dynamisme et d'imagination afin de faire face aux défis du XXIe siècle. Le droit international se veut de plus en plus pertinent. Les documents et conventions internationaux et les chartes des droits ont aujourd'hui une influence considérable sur l'interprétation des lois par les tribunaux et il s'agit là d'un champ très fertile pour les comparatistes. Au fur et à mesure que les tribunaux étendent l'application du droit international aux domaines internes, les juristes devront se familiariser davantage avec les documents internationaux et la jurisprudence internationale. Les facultés de droit devront de plus en plus avoir recours au droit comparé, plus particulièrement peut-être en droit international, afin non seulement de permettre aux juristes qu'ils forment d'accéder à des carrières internationales mais aussi dans une perspective d'instaurer une véritable culture des droits de la personne.
C'est dans ce but et pour susciter l'intérêt des juristes à cet aspect du droit que, chaque année, l'Association organise un concours de droit comparé destiné à tous les étudiants en droit du Québec et de la section droit civil de la faculté de droit de l'Université d'Ottawa. Des prix de 1000$ et 500$ sont accordés aux gagnants respectifs des catégories travaux de 2e et 3e cycles et travaux de 1er cycle. Le concours favorise la rédaction de travaux de droit comparé à tous les niveaux de l'enseignement universitaire.
C'est une excellente façon et particulièrement pour les jeunes étudiants et étudiantes en droit de maîtriser cet outil important pour les juristes qu'est le droit comparé. Comme le disait si bien Gunter Frankenberg, "The traveller and the comparatist are invited to break away from daily routines, to meet the unexpected and, perhaps, to get to know the unknown."(4) Je salue les organisateurs et les participants de ce colloque et vous remercie pour la contribution inestimable que vous apportez à un monde juridique davantage pluraliste et prêt à analyser et reconnaître ses différences tout en approfondissant son propre droit.
1. Je tiens à remercier mon auxiliaire juridique, Pascale Fournier, pour sa précieuse et inestimable assistance dans la recherche et l'élaboration de ce texte.
2. Michael Ignatieff, The Warrior's Honor: Ethnic War and the Modern Conscience (1998), à la p. 8
3. Lord Cooke of Thorndon, « The Judge in an Evolving Society » (1998) 28 Victoria University, Wellington Law Review 467, à la p. 469.
4. Gunter Frankenberg, "Critical Comparisons: Re-thinking Comparative Law", (1985) 26 Harvard Int. L.J. 411, à la p. 411.